Articles de Presse
Bag ladies Jean-Marie Wynants
THÉATRE Bag Ladies de Juliette Boutillier au Varia Une parole intime et universelle
WYNANTS,JEAN-MARIE
Page 11
Mardi 21 décembre 1999
Des femmes et des sacs: tel est, a priori, le sujet de Bag Ladies , dernier des quatre spectacles de jeunes compagnies présentés au théâtre Varia. Responsable du texte, de l'adaptation et de la mise en scène, Juliette Boutillier porte ce projet depuis plusieurs années. Depuis qu'elle a commencé à s'intéresser au sort de ces femmes que l'on croise dans la rue, chargées de sacs en plastique leur servant à transporter leurs biens d'un abri à l'autre.
Loin de plonger dans le document socio-économique,Bag Ladies explore plutôt la sphère intime. D'une part, celle des différentes femmes rencontrées lors d'une longue enquête, de Bruxelles au Canada en passant par les Etats-Unis. D'autre part celle de Juliette Boutillier qui lit en direct des pages de son journal de bord et toutes ces questions que ces femmes lui renvoient...Evitant toute tentation voyeuriste, elle nous convie à un spectacle où la poésie (du texte mais aussi de l'image avec les objets de Douz flottant dans l'espace), le film, le son (voix naturelles et amplifiées, bruits de rue...) contribuent à développer le propos, à le souligner, à en présenter diverses facettes.
Tout n'est certes pas parfait : la première, devant une salle archi-bondée, manquait encore de rythme et la présence de deux femmes représentant, au sommet de leur échafaudage, le monde « d'en haut » reste trop confuse malgré quelques beaux moments et l'engagement total des deux comédiennes, Karine Jurquet et Sonia Pastecchia.
Le reste par contre regorge d'idées, de séquences fortes constituant un spectacle d'une étonnante maturité (dans la forme comme dans le fond), loin des premiers spectacles « sympas » auxquels on est habitué.
On cite en vrac l'humour doux et plein de force de Gabrielle (formidable Anne-Marie Loop), l'histoire d'Ely livrée de manière totalement dépouillée par une bouleversante Raphaëlle Blancherie (passant d'un personnage à l'autre), le questionnaire du centre d'hébergement égrené par une Sonia Pastecchia d'abord rigolarde puis de plus en plus étreinte par l'émotion, l'expérience des boules (doux délire de Douz en forme de faux entracte bienvenu), les accès de colère de Sally (Hélène Antoine, passant d'un rôle à l'autre avec une aisance confondante)...
«Bag Ladies» est aussi un spectacle foisonnant où quelque chose se passe constamment, discrètement, dans chaque coin du plateau. Certaines images parlent bien mieux que de long discours, comme cette femme dont on lave soigneusement les cheveux dans un coin tandis qu'au centre du plateau, une autre se décrasse, nue, dans les toilettes d'un hôtel à l'aide d'une bouteille d'eau.
Et puis il y a le texte, faisant feu de tout bois : monologues, interview-dialogue entre la metteuse en scène et Gabrielle, exploration du vrai sens des mots, description d'une vie de femme utilisant exclusivement des termes d'ustensiles de cuisine, mots dits, murmurés, chantés, criés...
Bag Ladies n'est pas juste un spectacle de plus mais un vrai parcours, exigeant, dans lequel on entre petit à petit et qui, si on accepte de s'y plonger, nous révèle autant de choses sur nous-mêmes que sur ces femmes dont il parle.
Au théâtre Varia, jusqu'au 23 décembre, 02-640.82.58.
Bag Ladies revue Mouvement
th.Juliette BOUTILLIER Jacques DELCUVELLERIE Lorent WANSON Claque de réalité «Rwanda 94», «Les Ambassadeurs de l'ombre» et «Bag Ladies»
Des tentatives récentes montrent un regain d'intérêt pour la réalité comme source de travail théâtral. Pour preuve, ces trois pièces irriguées par le documentaire, l'actualité politique ou sociale, Rwanda 94, Les Ambassadeurs de l'ombre et Bag Ladies.
Comment passer de la réalité au théâtre? La réalité est-elle représentable? Quel traitement lui conférer sur une scène? Plusieurs options existent qu'ont explorées, conservées ou rejetées Jacques Delcuvellerie, Lorent Wanson et Juliette Boutillier.
Juliette Bouteillier qui a retenu la leçon de Kantor sans illusion, la réalité n'existe pas au théâtre. . ., espère un jour retravailler Bag ladies de façon plus épurée et plus poétique qu'elle ne l'a fait lors de la création du spectacle à Bruxelles, au Théâtre Varia. Le traitement final dont elle n'est pas satisfaite avait pourtant beaucoup évolué depuis les répétitions initiales : les comédiennes professionnelles avaient d'abord essayé de se représenter ce qu'est la pauvreté, la précarité morale et matérielle et avaient abouti à des stéréotypes «irrecevables, déontologiquement, politiquement et artistiquement». Par la suite, elles se sont éloignées du happening réaliste pour faire endosser aux personnages de la pièce -les bag ladies, Gabrielle, la passante, les assistantes sociales, l'homme topographe,...- des registres divers, de l'épure au grotesque, qui étaient, il est vrai, mal ajustés. Juliette Boutillier n'est pas parvenue à transcender la réalité comme elle l'aurait voulu.
En héritier de Piscator, Jacques Delcuvellerie a eu recours à la musique live, au choeur parlé, au poème épique, aux projections vidéo,... une profusion de registres fictionnels déchirés par deux moments de réalité, le témoignage de Yolande Mukagasana et la conférence qui explique les tenants et les aboutissants du génocide, donnée par le metteur en scène lui-même. Deux moments où la réalité n'est nullement travestie mais où, au contraire elle s'affirme pour ce qu'elle est, sans fard. Passant de la réalité en train de se représenter sur scène à des moments de pure fiction, Rwanda 94 joue avec maestria de ce mélange.
Dans Les Ambassadeurs de l'ombre qui a vu le jour à Bruxelles, au Théâtre National, Lorent Wanson n'a utilisé la fiction que pour la démasquer. C'est la réalité qui lui importe, une réalité qui est irreprésentable et qui n'a donc d'autre solution, pour se faire voir et entendre, que de venir sur scène se représenter. Voilà pourquoi il a construit le spectacle en trois parties. La première partie est interprétée par des comédiens professionnels selon la méthode Stanislavski. Ils ont façonné trois personnages -l'homme qui sort de prison, la femme alcoolique, le clochard-, autrement dit des imageries que la suite du spectacle s'évertue à renverser. La deuxième partie est portée par les membres des familles qui ne prétendent pas être ailleurs que sur la scène du théâtre où ils sont. Parmi eux, présence confiante, le metteur en scène joue de l'accordéon. La réalité n'est pas représentée, elle est en représentation. La troisième partie tourbillonne en une fête où tous sont réunis et à laquelle est convié le public en une valse rare de l'échange. «Cette création a permis l'ouverture des spectateurs, souvent des intellectuels, à ces gens-là et l'ouverture de ces gens-là au monde, à la réalité culturelle et politique. Ce théâtre n'est ni le mien, ni le leur, mais le nôtre: il est issu de ce croisement des expériences et des savoirs. Pour cette raison, la forme n'est pas là pour cacher le processus mais pour le montrer. L'objet raconte aussi la construction de l'objet. Je crois à cette notion qu'on retrouve dans l'art brut.»
Si ces spectacles singuliers proposent chacun un traitement spécifique de la réalité sur le plateau, de l'irruption de la réalité qui se représente elle-même à la transposition poétique et épurée, en passant par un montage de réalité et de fiction, ils ont en commun de rejeter radicalement la représentation sociologique du réel. Car, constatent les trois metteurs en scène, la représentation réaliste est folklorique, elle favorise le voyeurisme, elle n'est pas juste.
«Ces femmes qui marchent dans les rues et qu'on ne sait comment regarder -certains détournent le regard, d'autres regardent de façon trop appuyée ou regardent à moitié- constituent déjà un spectacle.
Sabrina WELDMAN Publié le 01-01-2001 Revue MOUVEMENT