2008 Il y avait un petit muret/ FACR/ RTB Par Ouïe-Dire
Photographie : Hélène Antoine
Extrait :
« Mes yeux s’ouvraient pour la première fois sur le monde, ici, en 1974. Où étais-je ? Sur la planète terre, en Orient, au Maroc, à Rabat. Il y avait une maison, un jardin, des insectes microscopiques sous les feuilles de bananiers ainsi que des oranges mûres à terre, que mes frères et moi écrasions du pied avec nos petites sandalettes. Revenir à l’origine du monde , pour un peintre, c’est du grand luxe. Ma madeleine Proustienne avait été trempée dans le thé à la menthe et tous mes souvenirs se raccrochaient ici, à Rabat. J’avais aujourd’hui rendez-vous avec cette lumière blanche et aveuglante, responsable de mes rides trentenaires.
Détails par détails, c’est la mémoire sensorielle qui se souvient d’un son, d’une flagrance, des couleurs chatoyantes qui explosent au visage. 11h05, Rabat. Je redécouvre mon pays natal en travelling, depuis la fenêtre poussiéreuse du Grand Taxi, une Mercedes blanche déglinguée. (…) Je repense à ma maison, celle de mon enfance, La pièce ronde du puzzle que je vais devoir retrouver dans cet architecture de cubes emboîtés. Mon « Rosebud » à moi aurait-il périt dans les flammes ?
(…) J’arrive devant cette bâtisse à la fois familière et étrangère - un lieu de culte - que je retrouve au premier jour de mon voyage pèlerinage. Les murs ont été repeint en gris et la façade prend moins la lumière que dans le temps. Depuis le portail, on voit deux angles du jardin où poussent encore un bananier nain et toutes sortes de plantes exotiques - une véritable jungle pour un enfant de 4 ans - couvertes de fleurs au printemps, sous lesquelles je venais cueillir mes œufs de pâques. Un panneau s’est planté devant le temple et indique : « école de formation à l’administration de secrétariat et de bureautique. » Je contemple tout cela comme une œuvre de musée dont je peux saisir le contour sans pouvoir en toucher le cœur. Le jardin de derrière, ma chambre d’enfant, le garage, la vue depuis le balcon. Ce portail repeint en gris constitue la limite entre passé et présent, infranchissable pour l’être, comme le sont ces volets clos pour l’œil ému. Mais il y a cette fenêtre au-dessus de la porte d’entrée, translucide, qui m’autorise à prolonger mon regard à l’intérieur, mon intérieur. Mon doigt peut toucher, presser la sonnette, qui fera peut-être sortir un bon génie de la maison. Car je ne possède plus cette clé là, si chère, qui ouvre les portes de ma mémoire ancienne. »
(Stéphane Galienni – artiste peintre)
La genèse de ce projet se trouve dans mon carnet daté de juin 06 :
(…) Je vois le pays de mon enfance. Ses odeurs. J’entends ses couleurs, Sa topographie, son périmètre à échelle miniature, ma maison, son jardin, un trajet d’école. En vieillissant, il m’arrive de les voir souvent. Par flashs, de façon impromptue, n’importe où, en marchant, dans ma cuisine, sur mon vélo, dans mon bain, dans mon lit quand j’en rêve.
Aujourd’hui, je me demande si c’est nécessaire de confronter ces images dont les fondations ne tiennent qu’aux souvenirs affectifs à une réalité architecturale débarrassée des émotions vécues… Pourtant je décide d’aller les retrouver, d’en voir ce qu’il en reste et de faire entendre ce qui n’est plus….
Note d’intention :
Dans ce documentaire il n’y aurait pas une voix mais des voix. Celles de six personnes qui acceptent de se poser la question « quel est le lieu que j’associe à mon enfance ? ». Chacune de ces voix renverrait à une expérience singulière de vie, de voyage, de souvenirs et d’images. Des paroles fragiles et incertaines arpenteraient donc le documentaire comme des rêveries éveillées, prises dans les rets du monde mais aussi détachées pour permettre à celui qui parle de reprendre pied…
Ces protagonistes d’ages différents cherchent à tâtons, entre les mailles de leur mémoire, des indices pour récupérer l’image d’un lieu perdu. Ces bribes de topographie arrachées à l’enfance ne remontent que sous forme de fragments, images fugaces, détails d’un panorama nostalgique : le souvenir précis de l’escalier, d’une fenêtre qui ouvre sur un mur couvert de lierre, du souffle de la course dans la cour de l'école, des carreaux en ciment de la cuisine… Par contre, l’emplacement de l’évier, la couleur des murs du séjour sont à jamais oubliés.
Pour certains, ce sont les sons associés à cette époque révolue (le marchand de glace, l’appel à la prière, le match de foot par la fenêtre, les chansons que leur mère chantait) qui replacent leurs pieds dans les pas de leur enfance, pour les amener vers le lieu de leur mémoire.
D’autres proposent qu’on enregistre en direct les sensations qui leur parviennent dans le lieu qu’ils choisissent.
Enfin, il y en a qui désirent confier leur parole à l’intérieur de leur domicile en nous racontant simplement ce « lieu de pureté ».
Liste des maisons où j'ai dormi au moins une nuit (dans le désordre et à l'exclusion des auberges, hôtels et pensions de famille) . Canéjean, Men Glaz, Trégunc, Figarete,SaintFlorent, La Framboisière, Kerfany, Le Lys de mer, Bussy, La Garde-Freinet, Le Trez Hir, Bodélio, Montigny, Les Loges, Pont-Réan, Bertignat, Prunete, Le Roumégou, Viriville, Lorient, Gradignan, Montfort- L'Amaury, Les Carrières, Kelvez, Sarlat, Marcigny, Riec-sur Belon, Gambay, Bray-sur-Seine, Chambon-surVoueize, Sainte-Croix-Vallée-Française,Capbreton, Saint-Martin, Les Midoux...
Cette liste de noms, incomplète, réveille parfois en moi quelque chose qui ressemble à un remords, sans doute parce qu'à certains d'entre eux s'attachent des promesses déçues, des amitiés estompées, et à d'autres le visage disparu d'êtres chers qu'ils suffisent à évoquer avec l'image de l'endroit où ils vivaient. Maisons vendues, liens rompus : en nous « séparant » d'une maison, comme nous disons parfois, usant alors d'un terme qui suffit à lui donner une personnalité humaine, il nous arrive de penser trahir une seconde fois ceux que, les ayant perdus, nous avons toujours eu le sentiment d'avoir laissé partir. Aussi, parmi les lieux qui me tiennent à cœur, en est-il que j évite.
(MARC AUGE « Domaines et châteaux »)
Réalisatrices Juliette Boutillier et Maria-Grazia Noce
Prise de son Anne-Sophie Papillon
Montage et mixage Ruelgo
Producteurs: FACR, Crayon Libre.
Diffusion : Radio Panik, RTBF (émission Par Ouie dire, Pascale Tison),
France-Culture (Echos de la planète francophone).
Pour écouter, c'est ici :
https://www.mixcloud.com/Julietteb/il-y-avait-un-petit-muret/
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