JULIETTE BOUTILLIER

 Nominé par Phonurgia Nova 2005 – Grand Prix du Concours 2007 de la Création Radiophonique de la Communauté Fran­çaise de Belgique.

photographie Juliette Boutillier

Extrait :

« Ma vie n'a pas changé... car depuis dix ans, les hommes l'ignorent et les étoiles la charment.  Je n'ai pas d'amis et tu sais pourquoi ils ne veulent avoir avec moi aucun rapport.  J'étais heureux, assis derrière mon télescope à observer le ciel et les galaxies, heureux comme un enfant qui pourrait jouer avec les étoiles.

Tu étais mon meilleur ami, Monika.  Tu ne t'es pas trompée, tu l'étais vraiment.  Mais le temps est trop court pour se livrer au badinage.  Cette lettre mettra environ deux semaines pour te parvenir; d'ici là, tu auras certainement lu dans le journal ce qui s'est passé ici.  N'y pense pas trop - la réalité sera certainement différente - et laisse à d'autres hommes le soin d'éclaircir la question.  En quoi cela peut-il nous concerner, toi et moi? je n'ai jamais pensé autrement qu’en années-lumière et en suis réduit maintenant aux secondes !…

Ici, je ni occupe activement des questions de météorologie.  Nous sommes quatre à nous en occuper et tous très heureux tant que cela dure.  Notre activité elle-même est fort simple : mesure de la température et du degré hygrométrique de l'air, estimation de l'altitude des nuages et conditions de visibilité.  Si un rond de cuir lisait ce que j'écris, il n'en reviendrait pas d'une telle entorse au secret professionnel.

... Monika, qu'est-ce que notre vie en comparaison des millions d'années représentées par les cieux étoilés?  Dans cette nuit splendide, Andromède et Pégase scintillent au-dessus de moi, je les ai longuement observées, car bientôt je serai auprès d'elles.  La paix et la tranquillité qui m'emplissent, j'en suis redevable aux étoiles.  Les étoiles sont immortelles et une existence humaine n'est qu'une poussière auprès d'elles.

Autour de moi tout s'écroule, une armée entière meurt, le jour et la nuit ne sont qu'un brasier, et quatre hommes continuent quotidiennement à étudier la température et la hauteur des nuages. Je ne comprends pas grand-chose à la guerre.  Personne n'est mort de ma propre main, je n'ai jamais utilisé le pistolet dont je suis armé.  Mais je crois savoir que ce sont là des arguments dont l'adversaire ne tient guère compte...

J’ aurais aimé, durant encore de longues années, pouvoir étudier les étoiles, mais de cela, il ne sera certainement plus jamais question... »

Note d'intention:

En septembre 2004, nous partons à Berlin. Il faudrait en effet que nous puissions écouter ces lettres avec nos oreilles de contemporains du vingt et unième siècle. Pour rendre une cohérence à ces diverses atmosphères, nous avons imaginé comme toile de fond, Berlin.

A chaque lettre lue correspond une qualité de voix différente: une couleur, une texture, une singularité  Ce sont les anonymes berlinois,  rencontrés au hasard de notre errance qui ont prêté leur voix. L’interprétation ne se fait pas alors entendre comme quelque chose de lyrique et de virtuose mais comme quelque chose arrachée  au quotidien, presque  brute et documentaire. 

Par cet angle de vue, on se débarrasse de la vérité, du vérisme, de la reconstitution historique et d’une certaine réalité. S’agit-il d’un documentaire ou d’une fiction ? Il est difficile de trancher. On peut juste dire qu’il s’agit de l’Histoire revisitée…

Adaptation libre et inspirée des dernières lettres de Stalingrad. (Ed : Buchet-Chastel).

2004 Réalisation : Juliette Boutillier, Maria-Grazia Noce Prises de son : Anne-Sophie Papillon Montage et Mixage : Ruelgo

Producteur : FACR. (Fond Aide à la création Radiophonique Belgique)

Diffusion : Radio Panik, RTBF, Radio Grenouille, Festival Fil­mer à Tout Prix (SCAM. Botanique. Bruxelles. 2006). 

Si vous voulez écouter l'émission, c'est ici :

https://www.mixcloud.com/Julietteb/lhistoire-est-faite-de-petites-histoires/